Dans l'intimité d'un abrazo

Publié le par gribouille

C'est un couple de petits vieux. Ils dansent mal. Elle a constamment une sorte de tic qui donne l'impression qu'elle va sourire. Mais ça ne vient jamais. Ils dansent sans arrêt, sans prêter attention aux autres. Sa robe claire est légèrement transparente, on devine la culotte dessous,  plus foncée. A un moment donné, alors qu'ils sont au fond de la salle, je crois distinguer une jarretière, qui glisse le long de la jambe. Ah la coquine, me dis-je. Mais ça ne devait être qu'une illusion optique. Ils dansent, sans jamais se reposer, à petits pas tranquilles, sans vraiment prêter attention à la musique. Ils dansent, toujours de la même manière, l'air sérieux. Ils sont laids. Sans grâce.  Légèrement difformes, tant elle est raide et maladroite, tant il est lambin et appliqué.   Elle a l'air de s'ennuyer même par instant. Lui continue, vaille que vaille, marche, pivot, marche, pivot.

Et puis alors que la musique s'arrête je le surprends à vouloir frotter son nez contre le sien, tout émoustillé par je ne sais quoi, heureux d'un coup. Un mouvement  de tendresse tout juste esquissé, qui n'ira pas jusqu'au bout, mais qui éclaire de manière inattendue ce couple de petits vieux. Qui dévoile, derrière leur air ennuyé, leur insignifiance sans charme, une autre réalité, peut-être -  celle du plaisir d' être deux dans cette bulle dorée qu'offre le tango, cercle magique qui se fiche des regards critiques, tel le mien, ici prisonnier des apparences et peu enclin à saisir l'essentiel, - cercle magique  qui dans l'intimité d'un abrazo distille  une modeste et discrète joie : celle de danser avec un peu d'amour en partage. 

 

Publié dans fouillis

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