Le désenchantement

Publié le par gribouille

Des corps sans grâce. Peut-être sans esprit. Pas beaucoup. Pour aligner trois pas, combien en faut-il ? Ou de la suffisance dans chaque pas. Regardez moi comme je danse bien. J'entends le frottement des chaussures sur le parquet, ça traine des pieds, ça grimace. Je dois être la seule à faire la gueule. Je fais la gueule si je veux. Je fais la gueule quand je veux. Pourquoi  revenir dans cette milonga où il y en a trop que je ne veux plus ni voir ni entendre. Elle, caquetante pitoyable, qui ne sait comment s'accrocher à cette vie qui la crache quotidiennement : elle se plante devant les gens pour les immobiliser, pour tenter de les intéresser à sa cause, mais qui pourrait vouloir tendre une main secourable à cette désespérante vacuité ? Lui, mutique dans sa solitude et la nostalgie de sa jeunesse, appartient déjà  à un passé révolu. J'en vois un, débraillé, inélégant au possible,  qui me passe devant, me regarde de coté faire la gueule, se dit : ça t'apprendra, tu m'as refusé la dernière fois. mais oui, je lui ai dit non, non, non, non pas toi qui ne sais pas danser, pas toi qui ne sais pas par sourire, pas toi qui es sans intérêt aucun, aucun, aucun... Je ne trouve de consolation nulle part. En personne. Je fais la gueule. Les regarde danser. C'est poussif. Sans beauté. Je fais la gueule car je ne réussis plus à voir la beauté. Plus de poésie nulle part. ça traine des pieds prosaïquement. Le terre à terre qui pèse. Mon regard s'étiole dans un vague dégout. Ploie dans l'attristante laideur de ces danseurs sans grâce, qui grimacent quand ils tentent de sourire. La musique même m'ennuie. Ma voisine m'annonce qu'il va y avoir une démo, me dit ça avec un petit air gourmand. Ah ? en plus il y a la démo. Franchement les démos ça m'emmerde. Je paie pas pour venir m'extasier d'un savoir faire qu'ils rentabilisent à outrance, tous ces maestros venus spécialement d'argentine, ah, les dieux du tango, on leur fait la cour, ça lèche et  bave, tord du fion et se trémousse, une cour postillonnante se constitue, la salive comme une colle,  c'est à la limite du soutenable. J'ai honte pour eux tous.

De toutes manières, je dois être un peu morte moi aussi, car je ne vois plus la vie. Plus de consolation nulle part. Des corps déjà à moitié morts. Il y a un truc qui ne passe pas, la vie mal digérée. Trop de déceptions accumulées. Trop d'attentes non comblées. Trop. Et le tango n'y peut pas grand chose, - cette fois ci.

 

Publié dans fouillis

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A
tres bien.
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